Il faut dépasser les apparences et analyser les « sorties festives » qui vident les établissements scolaires comme le symptôme d’une crise profonde
La beauté, quête féminine dans notre société, est aussi le propre des hommes. Du reste, la femme se définit par rapport à l’homme sur ce plan et à travers cette ambivalence. Quand elle est belle, on pourrait dire : A cè kagni (son homme est beau en traduction littérale). Quand elle est vilaine, elle est appelée cè jugu en d’autres termes l’ennemie de l’homme. L’évocation de cette brève vision de la beauté est indispensable pour comprendre le sens de cet article car tout tourne autour de l’obstination à se rendre beau. Cette obstination est a priori le mobile qui justifie aujourd’hui les « sorties festives » des élèves.? A priori seulement car la recrudescence du phénomène des « vacances de fêtes » tient à nombre d’autres facteurs qui sont, entre autres :?- L’indifférence coupable des parents d’élèves, des enseignants et des autorités scolaires qui montre à n’en pas douter l’effet d’une démission. Il y a comme une permissivité générale qui s’est installée au sein de l’école et même dans la société d’une manière générale. Dans une telle situation, on assiste à un déploiement de l’anomie. La famille, cellule de base est de notre point de vue la principale accusée dans ce laisser-aller : « Lorsque dans les familles les enfants n’ont plus le sentiment de connaître d’interdits, ils ne peuvent qu’avoir un sentiment de toute-puissance. Ils n’ont plus conscience de la liaison droits devoirs. Ils pensent que tout est permis. » (Develay Michel : Donner du sens à l’école, Paris, ESF éditeur, 1996, Page 73) – La responsabilité de l’AEEM qui n’arrive pas à « canaliser » ses militants. Dans beaucoup d’établissements, semble-t-il, des membres du bureau organisent des assemblées pour faire sortir les élèves et, mieux, décrètent le nombre de jour d’une pseudo- grève (nous utilisons cette expression car les différents mots d’ordre ne sont pas ceux du bureau de coordination). Pour cette fête de Tabaski, il semble que les vacances festives s’étendent jusqu’au mardi à minuit, période sabbatique ou histoire de juguler les possibles effets pervers de la viande d’où cette sentence des petits Diarra, Togola, Koné, Grands activistes : Je fête donc je suis.?- L’effet des « ILS » dévastateurs : Tous ceux qui ont eu le privilège de poser une question à un proche sur ces sorties « Qu’est-ce qui se passe ? » ont sans nul doute eu cette réponse en bamanankan « Ou yé aw la bo » comme pour dire : «Ils nous ont fait sortir » Ces ILS qui ont l’allure d’un Vous sont très dévastateurs car chacun dans cette situation jette l’anathème sur l’autre et personne n’est coupable. Avec mes cousins, je me suis amusé un jour à leur demander de me montrer ces ILS qui causent tant de dégâts. Cette attitude entraîna beaucoup de rires mais à la question pourquoi vous ne luttez pas contre ces ILS, ils disent : « ILS sont très nombreux et quand ILS viennent, ILS nous incitent à aller faire sortir les autres et nous les suivons » En analysant cette réponse, nous percevons que ces ILS qui semble-t-il sont invisibles, mais qu’on cache ; ces ILS, causeurs de dégâts, ennemis des élèves ont une identité : c’est la somme des apprenants eux mêmes. Ils le savent mais veulent l’ignorer. En fait c’est un moment caractéristique d’une aliénation qui fait que l’apprenant obnubilé par l’idée de la fête devient étranger à lui-même. La preuve est qu’il se retrouve ou quitte toujours cet état d’aveuglement voulu et entretenu après la fête. Il y a là un cautionnement latent de la sortie au motif que lui-même doit fêter.?- La banalisation du travail scolaire reste aujourd’hui, un constat patent : nombre d’apprenants ne sont pas convaincus que la réussite sociale, personnelle peut être le fruit de la réussite scolaire. La valeur de l’école est mise en doute car les examens restent malsains et les diplômes marchandables. Dans cette banalisation, les autorités scolaires, les enseignants, les parents d’élèves comme les apprenants ont leur part de responsabilité. Sans plonger dans une indexation de qui que ce soit, il est important de reconnaître que nous sommes dans une société caractérisée par une certaine « dictature du matériel » dans laquelle l’argent devient le maître mot, l’ultime recours aux interrogations fondamentales que le citoyen se pose : « Le baromètre de la dignité de l’homme est devenu son volume d’argent, ses largesses, son « paraître »… qu’il soit voleur, truand, brigand, criminel ou prostitué peu importe. La course pour « l’argent noir » devient le souci d’une bonne partie du peuple. » (Kamaté Elie : Quel développement pour l’Afrique, Bamako, Jamana, 1997, page 92) Dans une telle atmosphère, la confiscation de tout ce qui est effort, contrainte devient un sacrilège qui peut être exorcisé par l’omnipotence immaculée de Dieu-Argent. Ce comportement qui s’accapare de notre société actuelle est sans nul doute une source de dégénérescence morale mais aussi d’appauvrissement spirituel. Après avoir passé en revue différents facteurs qui président à l’agonie de l’institution scolaire occasionnée par les fêtes, il nous faut ajouter que cette donne est l’effet d’une crise. Il suffit seulement de s’intéresser aux différentes manifestations qui la caractérisent pour comprendre qu’elle s’encastre dans les coups et blessures, des actes d’incivilités (insultes, bousculades, jets de pierre…), les interactions verbales (cris, insultes) les altercations, les agressions. Elle est donc, fort logiquement, la conséquence de la transgression des règles de fonctionnement dans l’école. Il convient aussi en terme d’analyse de comprendre ces sorties en tant qu’expression d’une crise qui trouve son explication dans la relation dialectale entre l’école et la société. C’est dire donc que tout mal au niveau d’une des institutions affecte l’autre. Il y a ici non seulement un phénomène de contagion mais aussi de divorce : « L’école est malade de sa société. La société est malade de son école. Aujourd’hui, l’école et la société sont en crise parce que les réalités et les valeurs sur lesquelles fonctionnent ces deux institutions s’opposent. » (Develay opus cité page 8) Sans être un thérapeute, nous pensons que des pistes peuvent nourrir des actions à entreprendre pour pallier ce mal. Il est ainsi possible de préconiser : – Une adéquation entre éducation et instruction.- La mise en œuvre d’un programme de formation des citoyens et son inscription dans la formation initiale ou continue des enseignants.- La construction d’un projet d’établissement focalisé sur la non-violence.- La mise en œuvre d’un règlement discuté avec les partenaires de l’école.- La mise en place d’un observatoire d’accompagnement, de suivi et de développement des actions contre la violence. En sus de ces quelques propositions, nous restons convaincu que les problèmes de l’école doivent être analysés et solutionnés à l’aune d’études assorties d’une investigation solide de terrain car l’institution fait l’objet, depuis des périodes séculaires, de réflexions scientifiques à travers des disciplines comme les sciences de l’éducation, la psychologie, la philosophie, la sociologie, le droit et autres disciplines connexes. Il ne s’agit plus de se contenter de faire des propositions qui ne reposent sur aucun fondement et qui nous plongent dans un formalisme beat. Les phénomènes scolaires doivent être appréhendés selon une approche propre à faire naître des débats de sens sur les enjeux de l’école au Mali. Et ces enjeux sont « simplement » vitaux comme le résume parfaitement l’historien burkinabé et sage africain, Joseph Ki Zerbo quand il écrivait : « L’éducation est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés. » ( KI ZERBO Joseph: Eduquer ou Périr, Paris, Harmattan, 1990, page16)
Dr. Idrissa Soïba TRAORE
Enseignant au département Sciences Sociales FLASH
Source: l’essor
Par l’essor – Date: 30 Novembre 2009
« La valeur de l’école est mise en doute car les examens restent malsains et les diplômes marchandables ». Voilà une phrase qui détermine le rapport à l’école de bon nombre d’apprenants au Mali. Que pourrait signifier pour un élève malien aller à l’école? Comment représente-t-il son métier d’élève? Cet article du professeur Traoré est révélateur d’une problématique liée à la question de valeurs dans notre société malienne en rapport avec son système scolaire. Elle doit à cet effet être celle de tout un acteur socio-éducatif. Il ressort dans l’article de docteur Traoré, un lien toujours pas visible entre la société et son école. Il se lit à travers les acteurs eux-mêmes porteurs de valeurs sociales et culturelles, mais aussi dans leurs conceptions, leurs modes de lecture du monde scolaire qui l’influencent et caricaturent sa mission. De nombreuses études ont souvent pointé les insuffisances matérielles, économiques et autres qui freinent le bon fonctionnement de l’école au Mali. Cependant, la question des valeurs est essentielle de mon point de vu, comme le montre cet article. Quelle est la mission de l’école dans notre société, pas une mission copiée collée ou plaquée ou encore imposée, mais une mission que le peuple malien confie à son école au regard de ses réalités internes et celles qui le lient au reste du monde? Comment évoluent le rôle et la mission de l’école à travers son histoire en rapport avec les valeurs locales et mondiales?. Certes, les responsabilités incombent à tous les acteurs, mais il me semble que les enfants et les élèves sont en quelque sorte victimes d’une irresponsabilité des adultes, qui pensent, à mon avis, dans leur grande majorité qu’apprendre à l’école se fait tout naturellement comment à la maison. Et le fonctionnement de l’école malienne est foné sur des logiques qui rendent difficile voire impossibl l’atteinte des objectifs qu’elle se fixe. Logiques et valeurs sont correlatives, telle valeur détermine telle logique et vice versa. Garantir une éducation scolaire fondamentale à tous les enfants ne peut pas se faire à la base d’une logique de sélection, d’exclusion et d’une conception utilitariste de l’école. Au 21 eme siècle, l’accès à l’école pour tous les enfants est loin d’être effectif en Afrique. Que pouvons nous dire à propos de l’accès au savoir, à la connaissance pour tous qui fonde aujourd’hui les nouveaux programmes scolaires incarnés par des exigences d’un monde qui se veut global? Comment l’école malienne prépare-t-elle ses jeunes à affronter ce défis d’autonomie individuelle, d’ouverture culture et de compétitivité économique?